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Pinguicula lattanziae, une nouvelle espèce d'Italie

Posté : 30 déc. 2016 15:51
par kisscool-38
Juste avant que l'année se termine, nous avons le droit à la première nouvelle espèce du genre Pinguicula de l'année. Il s'agit de Pinguicula lattanziae. La publication est à retrouver en libre accès ici et date seulement du 28 décembre :
http://journals.plos.org/plosone/articl ... ne.0167610

On ne peut que déplorer le manque d'illustration de celle-ci dans cet article. Aucune photo, pas même un dessin. La seule image publiée jusqu'à présent figure à la fin de ce pdf:
http://www.societabotanicaitaliana.it/d ... BI2015.pdf
La description est très succinte.

Malgré cela, l'article n'est pas sans intérêt car il propose une étude phylogénétique des espèces tempérées, couvrant pour la première fois les derniers taxons décrits (tous italiens). Voici quelques conclusions et commentaires :
- P. lavalvae se retrouve inclus au sein du clade des P. hirtiflora de Campanie. Cela montre bien la conspécificité des deux, les auteurs proposent de baisser P. lavalvae au rang de sous-espèce. Pour ma part, j'en ferais un simple synonyme, il s'agit ni plus ni moins d'un variant à fleurs blanches.
- P. hirtiflora de la vallée de la Roya se retrouve au sein du clade des P. hirtiflora de Calabre et des Balkans. Ils en déduisent que les plantes de la Roya sont introduites artificiellement à partir de plantes de Calabre, et que ces dernières proviennent de graines issues des Balkans, probablement amenées naturellement. Pour ma part, je trouve que cela conforte une idée que j'avais émise il y a quelques années : la vallée de la Roya se situe sur une route migratoire passant par la Calabre et remontant le long des côtes italiennes pour rejoindre les terres au niveau des Alpes-Maritimes. Les P. hirtiflora de la Roya ont donc bien pu être amenées naturellement par des oiseaux.
- Alors que les deux espèces sont morphologiquement très similaires, P. vallis-regiae et P. poldinii se retrouvent dans deux clades distincts. Le statut d'espèces autonomes est donc à conserver.
- P. balcanica forme avec P. vallisneriifolia forment un clade à eux seuls. C'est une grosse surprise, je ne sais pas comment interpréter cela, et les auteurs ne s'y risquent pas non plus.
- P. reichenbachiana et P. caussensis sont génétiquement distincts de P. longifolia. Il s'agit donc bien de 3 espèces distinctes, ils proposent la nouvelle combinaison P. caussensis (Casper) Innagi, De Castro & Peruzzi. A savoir que cette combinaison a déjà été proposée par Roccia et al. en début d'année 2016 dans la révision du genre, puis corrigée par Roccia dans la CPN de décembre 2016. La priorité va donc à P. caussensis (Casper) Roccia.
- Concernant P. cf. apuana de la Roya : cette plante ne matche donc pas avec les P. apuana des Alpes Apuanes et n'appartient donc pas à cette espèce. Par contre, elle figure à la place attendue pour un hybride P. reichenbachiana x vulgaris, hypothèse émise par Roccia et al. (2016).
- De la même manière, P. cf. christinae de Ligurie, ne matche pas avec les P. christinae des Appenins du nord. Ils en font donc une nouvelle espèce, nommée P. lattanziae. Elle tombe parmi les autres P. vulgaris, et présente peu de différences morphologiques (Lorenzo Peruzzi m'en avait envoyé quelques photos, j'avoue ne pas vraiment en trouver). Mais dans l'ensemble, je trouve que ce sous-clade E1b est mal résolu avec ce marqueur.
- P. sehuensis se retrouve au milieu des P. corsica, ce qui était largement attendu. Et non pas avec P. dertosensis, P. nevadensis, ou P. grandiflora, les espèces les plus proches d'après la description. Pour moi, ces deux taxons sont conspécifiques et le fait que les deux poussent sur des îles différentes (mais géographiquement très proches et appartenant au même domaine phyto-géographique) ne justifie pas de maintenir deux taxons. D'autant que des plantes très similaires, voire identiques à P. sehuensis sont connues de longue date de Corse, fait largement ignoré par les auteurs.
- Enfin P. mundi se trouve comme groupe frère de P. corsica, ce qui est encore bizarre. Je trouve l'explication des auteurs assez hasardeuse.

Si dans l'ensemble cette publication apporte des éléments très intéressants, je n'aurais qu'une critique concernant le choix du marqueur utilisé. Il s'agit d'un marqueur nucléaire, avec une copie provenant de la plante mère, une copie provenant de la plante père. On peut donc voir des hybrides avec un tel marqueur, pour peu qu'on analyse méticuleusement les séquences. Je m'étonne donc que les auteurs ne parle que de deux polymorphismes, alors que ce marqueur est très variable (d'où son intérêt pour le sous-genre Pinguicula, car les marqueurs chloroplastiques ne le sont pas assez pour celui-ci). En analysant les haplotypes, on aurait donc pu voir une évolution réticulée de ce sous-genre, fait qui est largement sous-estimé je pense alors qu'il est tout aussi moteur de l'évolution que l'isolement géographique, explication privilégiée ici.

Re: Pinguicula lattanziae, une nouvelle espèce d'Italie

Posté : 02 janv. 2017 16:11
par Aurélien
Salut Aymeric,

Merci pour le partage de cet article, et pour les commentaires qui vont avec.

Je trouve la publi intéressante, très même, car je suis content de voir cet arbre phylogénique qui m'éclaire beaucoup sur les relations entre les espèces de Pinguicula européennes, dans lesquelles j'ai parfois du mal à me retrouver.

Il met bien en évidence l'évolution récente (et continue) du genre dans les montagnes européennes, et aussi les convergences évolutives qui ont pu être démontrées plusieurs fois pour certaines espèces.

Je suis d'accord avec toi : le sous clade E1b est clairement irrésolu : ces espèces sont visiblement très proches les unes des autres et il est difficile de les séparer vraiment... Il semblerait que P. caussensis et P. leptoceras soient polyphylétiques ? Bizarre...

Un truc gène ma lecture : a quoi correspondent ces accolades ? A première vue, on croirait voir plusieurs groupes paraphylétiques, mais je ne suis pas sûr de comprendre...

On dirait que les auteurs ne vont pas au bout de leur démonstration : on a un autre sac de noeuds avec P. grandiflora. A lire l'arbre, il semble que P. grandiflora f. pallida soit à relier à P. grandiflora subsp. rosea et non P. grandiflora subsp. grandiflora, non ?

Pour ce qui est de la relation entre P. mundi et P. corsica, euh... Ca semble carrément incohérent. Dans ce cas, on devrait trouver d'autres membres de ce clade en Provence, non ?

Aurélien

Re: Pinguicula lattanziae, une nouvelle espèce d'Italie

Posté : 02 janv. 2017 18:25
par kisscool-38
Aurélien a écrit :Il semblerait que P. caussensis et P. leptoceras soient polyphylétiques ? Bizarre...
Une possible explication:
- Il y a plein de choses bizarres dans les Causses ;-)
- Pour P. leptoceras, ils marquant clairement que P. arvetii en est un synonyme. Il est possible qu'une des deux souches soit P. arvetii, il y en a au Col de Tende
Aurélien a écrit :Un truc gène ma lecture : a quoi correspondent ces accolades ? A première vue, on croirait voir plusieurs groupes paraphylétiques, mais je ne suis pas sûr de comprendre...
Les souches dans les accolades ont des séquences identiques.
Aurélien a écrit :A lire l'arbre, il semble que P. grandiflora f. pallida soit à relier à P. grandiflora subsp. rosea et non P. grandiflora subsp. grandiflora, non ?
C'est fort probable oui. C'est aussi une hypothèse que j'avais en tête depuis un moment et ça pourrait venir confirmer ça. Il semblerait qu'il y ait une zone de contact en Haute-Savoie d'après les herbiers, ce qui resterait à confirmer bien entendu avec un réexamen des parts. Dans ce cas, pallida pourrait avoir émané de rosea puis colonisé le Jura, ou inversement rosea émané de pallida puis colonisé les Alpes du Nord. Il y a beaucoup de variations de pallida, y compris dans les Pyrénées alors que rosea est très peu variable (si ce n'est en taille), le première hypothèse ma paraîtrait plus plausible.
Aurélien a écrit :Pour ce qui est de la relation entre P. mundi et P. corsica, euh... Ca semble carrément incohérent. Dans ce cas, on devrait trouver d'autres membres de ce clade en Provence, non ?
Je m'y attendrais aussi. Mais en fait, ils partent d'un postulat probablement faux: dans la description de P. mundi, il est dit que cette espèce est un hexaploïde, dont l'origine serait un hybride d'une espèce diploïde et d'une espèce tétraploïde, fixé par doublement du matériel chromosomique. Les italiens suggèrent que P. sehuensis pourrait être cette espèce diploïde. Reste que Casper & Stimper ont recompté les chromosomes de P. mundi et que cette espèce est en fait tétraploïde (et visiblement les italiens ignorent les résultats de cette publication...).

Re: Pinguicula lattanziae, une nouvelle espèce d'Italie

Posté : 03 janv. 2017 17:08
par Aurélien
Salut,

Merci pour ces explications :
kisscool-38 a écrit : - Il y a plein de choses bizarres dans les Causses ;-)
Ah ben d'accord ! A suivre alors ;)
kisscool-38 a écrit :- Pour P. leptoceras, ils marquant clairement que P. arvetii en est un synonyme. Il est possible qu'une des deux souches soit P. arvetii, il y en a au Col de Tende
Pff, eh ben on est pas rendu dans ce cas... Les résultats pourraient démontrer que P. arvetii est bien valide du coup ?
kisscool-38 a écrit :
Aurélien a écrit :Un truc gène ma lecture : a quoi correspondent ces accolades ? A première vue, on croirait voir plusieurs groupes paraphylétiques, mais je ne suis pas sûr de comprendre...
Les souches dans les accolades ont des séquences identiques.
Mh, dans ce cas je ne comprends plus... Si ces espèces ont la même séquence, comment expliquer qu'on puisse les trouver à tous les bouts du clade ? C'est vraiment pas clair.
kisscool-38 a écrit : C'est fort probable oui. C'est aussi une hypothèse que j'avais en tête depuis un moment et ça pourrait venir confirmer ça. Il semblerait qu'il y ait une zone de contact en Haute-Savoie d'après les herbiers, ce qui resterait à confirmer bien entendu avec un réexamen des parts. Dans ce cas, pallida pourrait avoir émané de rosea puis colonisé le Jura, ou inversement rosea émané de pallida puis colonisé les Alpes du Nord. Il y a beaucoup de variations de pallida, y compris dans les Pyrénées alors que rosea est très peu variable (si ce n'est en taille), le première hypothèse ma paraîtrait plus plausible.
Ok, intéressant. C'est donc uniquement sur des données géographiques que P. grandiflora f. pallida est reliée à la subsp. grandiflora ?
kisscool-38 a écrit : Je m'y attendrais aussi. Mais en fait, ils partent d'un postulat probablement faux: dans la description de P. mundi, il est dit que cette espèce est un hexaploïde, dont l'origine serait un hybride d'une espèce diploïde et d'une espèce tétraploïde, fixé par doublement du matériel chromosomique. Les italiens suggèrent que P. sehuensis pourrait être cette espèce diploïde. Reste que Casper & Stimper ont recompté les chromosomes de P. mundi et que cette espèce est en fait tétraploïde (et visiblement les italiens ignorent les résultats de cette publication...).
Ah ! Raté pour ce coup là...,Bon, ça tient pas quoi.

Re: Pinguicula lattanziae, une nouvelle espèce d'Italie

Posté : 04 janv. 2017 18:11
par kisscool-38
Aurélien a écrit :Les résultats pourraient démontrer que P. arvetii est bien valide du coup ?
Si on applique le même principe que pour P. lattanziae, oui. Mais encore une fois, ce clade est mal résolu.
Aurélien a écrit :Mh, dans ce cas je ne comprends plus... Si ces espèces ont la même séquence, comment expliquer qu'on puisse les trouver à tous les bouts du clade ? C'est vraiment pas clair.
Sous réserve que j'ai bien compris ce qui te gêne. Dans ce sous-clade E1b, les deux accolades, P. vulgaris (P37, P39), P. cf. apuana, P. cf. christinae, le groupe de P. reichenbachiana, P. leptoceras (K), le groupe de P. caussensis, P. bohemica, P. leptoceras (D), P. caussensis (D), P. vulgaris (A, C) et P. vulgaris (B), soit 13 groupes, se branchent sur la même ligne verticale. Que P. bohemica (D) soit en haut, en bas ou au milieu n'a aucune importance. Ils auraient très bien pu artificiellement mettre tous les P. vulgaris à côté l'un de l'autre.
Aurélien a écrit :C'est donc uniquement sur des données géographiques que P. grandiflora f. pallida est reliée à la subsp. grandiflora ?
Il semblerait que non, la phylogénie moléculaire va dans le même sens.

Re: Pinguicula lattanziae, une nouvelle espèce d'Italie

Posté : 05 janv. 2017 16:22
par Aurélien
kisscool-38 a écrit : Sous réserve que j'ai bien compris ce qui te gêne. Dans ce sous-clade E1b, les deux accolades, P. vulgaris (P37, P39), P. cf. apuana, P. cf. christinae, le groupe de P. reichenbachiana, P. leptoceras (K), le groupe de P. caussensis, P. bohemica, P. leptoceras (D), P. caussensis (D), P. vulgaris (A, C) et P. vulgaris (B), soit 13 groupes, se branchent sur la même ligne verticale. Que P. bohemica (D) soit en haut, en bas ou au milieu n'a aucune importance. Ils auraient très bien pu artificiellement mettre tous les P. vulgaris à côté l'un de l'autre.
Ok, je comprends mieux. C'est délicat... Le cladogramme ne sert pas à grand chose du coup ! Et qu'est-ce qui justifie des tout garder au rang spécifique alors ? Les limites géographiques, écologiques, morphologiques ?
kisscool-38 a écrit :
Aurélien a écrit :C'est donc uniquement sur des données géographiques que P. grandiflora f. pallida est reliée à la subsp. grandiflora ?
Il semblerait que non, la phylogénie moléculaire va dans le même sens.
D'accord, mais comment expliquer dans ce cas le cladogramme obtenu ? Ce serait le choix du marqueur qui inverserait le résultat ?

Re: Pinguicula lattanziae, une nouvelle espèce d'Italie

Posté : 07 janv. 2017 16:14
par Vince81
Merci pour l'article, les commentaires, et la discussion.

Re: Pinguicula lattanziae, une nouvelle espèce d'Italie

Posté : 07 janv. 2017 16:17
par kisscool-38
Aurélien a écrit :Le cladogramme ne sert pas à grand chose du coup !
La distinction des sous-clades semble bonne, bien que certaines stats soient un peu faibles. En dessous, c'est plus délicat, et surtout pour ce sous-clade.
Aurélien a écrit :Et qu'est-ce qui justifie des tout garder au rang spécifique alors ? Les limites géographiques, écologiques, morphologiques ?
Bien entendu que pour délimiter une espèce, les seules données moléculaires ne suffisent pas. Une "espèce biologique" est un consensus d'une "espèce génétique", "reproductive", etc... Par exemple, P. sehuensis appartient à "l'espèce génétique" P. corsica mais elles représentent peut être deux unités reproductives sans échanges de gènes entre les deux (bien que je sois un peu sceptique là dessus). Après à chaque auteur de voir la pondération qu'il apporte à chacune des définitions d'espèces. Regarde ce qu'il se passe chez le genre Ophrys: les analyses moléculaires appuient une taxonomie à une dizaine d'espèces, Pierre Delforge donne une extrême importance aux barrières reproductrices et voit donc une centaine d'espèces pour ce genre. La variété est certainement entre les deux, l'évolution du genre étant très réticulée.
Pour le cas de ce sous-clade E1b, c'est plutôt le choix du marqueur qui n'est pas bon pour distinguer ces "espèces génétiques", il n'est pas assez résolutif, je ne tirerais pas de conclusions aussi tranchées de ces résultats.
Aurélien a écrit :D'accord, mais comment expliquer dans ce cas le cladogramme obtenu ? Ce serait le choix du marqueur qui inverserait le résultat ?
Tu veux dire que le cladogramme te donne l'impression que pallida soit issu de rosea? Il indique juste que la variabilité que pallida est incluse dans celle de rosea et donc que les deux sont reliées entre elles plus qu'avec grandiflora, c'est la seule certitude. Normal puisque l'échantillonnage est plus important pour rosea que pour pallida. D'autre part, les stats sont quand même faibles. Si tu veux vraiment tirer une bonne conclusion, il faut que l'échantillonnage soit bien plus conséquent et représentatif. Et peut être que l'aspect de l'arbre s'inversera.

Re: Pinguicula lattanziae, une nouvelle espèce d'Italie

Posté : 25 mars 2017 11:29
par jeff
Bonjour

pour moi cet arbre de consensus ne me convient pas , pas assez precis comme ceux de CIESLAK et DEGTJAREVA mais neanmoins quelques petites infos interessantes

la phenologie ne fait pas tout :wink: , la prise en compte de la caryologie et l’étude des graines et pollens, des caracteres morphologiques à mon avis complete le tableau et apportent d'autres choses.

pour P. lattanziae pas mal d'italien la considere comme une P.vulgaris subsp vulgarispour moi itou
pour P. lavalvae en fait surement ce que l'on considerait comme une P.crystallina subsp crystallina f pallida ou Crystallina subsp hirtiflora f pallina

pour P.hirtiflora de la roya pour moi depuis toujours elle n'a pas ete une espece introduite par l'homme contrairement aux allusions mais plutot une espece soit amenee par anèmochorie ou amenee par les animaux ou oiseaux , les apuana de la même vallee avec une caryologie de 2n=64 itou.

2 autres cas pour moi a éclaircir :

la notion de P. caussensis qui pour moi est plutot une P. brevifolia son decouvreur l'a nomme ainsi ,plutot d'ailleurs P.longifolia var brevifolia et l'a parfaitement decrite en 1893 bien avant CASPER

et puis P.avertii qui pour moi est une P.leptoceras f bicolor sans plus , d'ailleurs si on compare les grains de pollens a peu de chose près ils sont identiques , dimension , nb de colpori ,forme de l'exine ( sexine) ,etc

jeff