(OK) Utricularia alpina Jacquin aux Antilles

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le grand lapin
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(OK) Utricularia alpina Jacquin aux Antilles

Message par le grand lapin »

Utricularia alpina Jacquin aux Antilles
par Patrice Charpentier

J'aime profiter de mes séjours dans les îles de cette région du monde pour effectuer quelques sorties à but carnivoristique , ceci afin de découvrir les conditions de vie in-situ de certaines utriculaires épiphytes telles qu' Utricularia alpina Jacquin.
Ces sorties ont été effectuées sur les pentes des volcans de la Souffrière alt.1467m et du Mont Pélée alt.1397m , respectivement situés à la Guadeloupe et en Martinique.

Monter les pentes d'un volcan est à chaque fois une expérience grandiose , à chaque fois différente , à chaque fois nouvelle. Les paysages sont magnifiques , et l'altitude permet de découvrir un horizon
qui s'élargit à mesure que l'on s'élève.
La caractéristique de ces montagnes , et leur situation sur une île , est une très forte pluviométrie. En effet , les pentes sont abruptes , souvent à la limite de la verticale , les volcans forment une barrière très élevée qui s'oppose aux alizés , vents chauds chargés d'humidité provenant de l'océan. Ainsi , les sommets sont très souvent enveloppés de nuages , tandis que les vallées reçoivent de courtes mais intenses averses.
Les pluies tombant aux sommets ne pouvant , quand à elles , êtres nommées autrement que trombes d'eau ou déluges : en effet , il peut pleuvoir jusqu'à 12 m d'eau par an sur les pentes de la Souffrière...
Les brumes continuelles combinées aux vents abaissent la température jusqu'à 15/20°C et déchargent leur humidité sur les végétaux. Malgré celà , les jours ensoleillés existent , la température montant alors allègrement jusqu'à presque 30°C au sommet.
Les températures nocturnes n'atteignent jamais le 0°C mais selon les saisons peuvent osciller entre environ 8/10°C et 13/15°C , la température du sol contribuant au "réchauffement" local du biotope. Ainsi, les racines de l'ensemble de la végétation de pente n'es-il jamais soumis à une thermocline importante , tandis que les parties aériennes sont soumises à la rudesse du climat.

Du fait de la pente , on passe très rapidement les divers étages de la végétation pour se retrouver dans une bande de végétation située entre environ 1000m et le sommet , biotope de nos utriculaires. C'est le domaine de Chariantus alpinus ( sorte de fuchia buissonnant aux feuilles coriaces ) et des broméliacées nommées ici ananas-montagne. On trouve également diverses fleurs aux pétales cireux , des orchidées terrestres et éphiphytes , des mousses et notre Sphagnum si bien connu !
Dans les combes protégées des vents violents , quelques fougères arborescentes du genre Dyksonia s'aventurent . La végétation couvre le sol sur une hauteur d'environ 1m50 , et le sol instable et glissant composé d'éboulis et de mousses est très dangereux à parcourir , et ne comporte pas de couverture de décomposition épaisse : 5 cm de litière seulement recouvrent les coulées de laves et les bombes volcaniques.

Je dois également faire mention de l'éclairement diurne. La lumière est diffusée par les nuages , et les plantes ne reçoivent quasiment jamais de lumière directe. J'ai pu observer que la lumière est également répartie autour des plantes , et il n'y a pas de zones d'ombre nettes sur le sol dans les zones couvertes de sphaignes et d'herbes.
Les plantes semblent donc recevoir une quantité constante de lumière tout au long de la journée et de l'année, la longueur du jour sur les zones équatoriales ne variant que très peu sur 12 mois.

Mes recherches ont été fructueuses sur les deux stations , et j'ai pu observer des plantes en fleurs ainsi que des capsules de graines à chaque sortie. Les utriculaires poussent sur une conformation bien particulière du relief , à savoir une pente verticale dégagée de toute végétation haute , couverte uniquement de sphaignes et de mousses.
Les plantes ont un port rabougri , les feuilles sont très petites : 5 à 6 cm de longueur seulement , pétiole compris ! Les feuilles sont également épaissies , et sont recouvertes d'une fine pellicule cireuse. Peu nombreuses , on en compte seulement 2 à 4 par pied.

Les tubercules sont eux , par opposition à l'allure générale de la plante , très gros et volumineux. En écartant les sphaignes , j'ai pu en observer de plus de 3 cm de long. Les pièges sont nombreux et répartis régulièrement sur de longs filaments de plus de 20 cm de long. Les tubercules ne sont presque jamais divisés , la reproduction végétative se faisant plutôt par l'émission de stolons souterrains avec création à leur extrémité d'un nouveau tubercule. On peut ainsi observer sur une paroi couverte de sphaigne tout un châpelet de plantes , dont on devine aisément le cheminement des racines.
Les plantes sont petites , je le disais , mais celà est bien-sûr dû au rude climat. Les sphaignes elles-mêmes sont très épaisses , leur têtes très grosses de 1,5 cm forment des tapis de plus de 30 cm de haut.

Moins de 10 % des plantes sont en fleur , et seulement la moitié de ces fleurs arrive à maturité. J'ai pu observer nombre de fleurs avortées , à tous les stades de la tentative de floraison. Malgré-celà , ici et là quelques capsules de graines solitaires se forment. Solitaires car les plantes ne produisent qu'une seule fleur , encore une fois un effet du climat et de l'adaptation de la plante au vent.
Les corolles sont petites , elles s'inscriraient dans un cercle de 2,5 à 3 cm de diamètre. La conformation de la fleur est particulière elle-aussi : le labelle inférieur n'est pas très long , et laisse voir l'apex pointu très incurvé vers l'avant , celui-ci dépassant même de la corolle sur certaines fleurs.

L'aspect général de la plante est bien conforme au milieu très dur dans lequel elle vit. Tout en elle indique l'adaptation à un climat frais et très venteux. De même , la stratégie de production de stolons isolés , loin du pied-mère , semble favoriser une meilleure exploitation d'un milieu apparement très pauvre en proies.
La compétition entre les végétaux semble être limitée par la pente ; ainsi , seule les mousses et les sphaignes colonisent les parois rocheuses , tandis que les combes et parties moins inclinées sont colonisées par la végétation haute. La densité de végétation est telle dans ce dernier groupe qu'aucune plante ne saurait se développer à ses pieds. Les parois rocheuses couvertes de mousses semblent donc être le seul refuge possible pour Utricularia alpina sur les pentes volcaniques des Antilles.

En Martinique , j'ai pu également découvrir une station d' U.alpina située en forêt d'altitude. Là , elles poussaient en épiphytes , accompagnées de broméliacées , de mousses et d'orchidées. Ces plantes , poussant dans une atmosphère bien plus chaude , avaient un développement plus grand , comme on pouvait s'y attendre.
Les hampes florales portaient plusieurs fleurs , les feuilles avaient la longueur habituelle de 10/15 cm.
Les utriculaires poussaient sur les branches d'un fruitier local , le goyaver-montagne. Ces branches , couvertes de mousses épaisses , sont dépourvues d'un feuillage important. Les précipitations quotidiennes de la saison pluvieuse entretiennent l'humidité de la mousse et la période de végétation des utriculaires , tandis que la chaleur des mois de sécheresse les fait entrer en dormance en même temps que se déshydrate leur substrat.

Observer le spectacle de ces végétaux dans leur milieu est une réjouissance et une découverte. On est en pleine nature , et en s'intéressant à une plante particulière on découvre tant de choses qui s'y rapportent. Les paysages sont habituellement éloignés des hommes et situés dans des endroits sauvages , ce qui en dit long sur la fragilité de ce type de biotopes. En Guadeloupe a été crée un parc national qui inclut l'intégralité des zones volcaniques d'altitude , dont les biotopes de nos utriculaires. En Martinique , c'est une loi locale qui protège nos plantes favorites , ainsi que d'autres bien-sûr.
Afin de ne pas perturber le milieu , ces deux départements font de gros efforts de création de sentiers qui enjoignent à contempler le paysage sans y pénétrer , des panneaux explicatifs décrivent et avertissent le visiteur des particularités floristiques. Les sentiers sont très bien balisés , personne ne les quitte , de ce fait le milieu reste tel qu'il est depuis des centaines d'années. Je n'ai pas vu de déchets joncher les pentes de ces volcans , ni n'ai pu voir de graffitis ou dégradations volontaires. Les lieux connaissent pourtant une fréquentation assez importante , dans la mesure où j'ai pu compter une centaines de personnes présentes sur une même pente pendant un laps de temps de quatre heures.

La visite de ces lieux ne nécessite pas d'équipement particulier , seules de bonnes chaussures et une protection contre la pluie en cas de temps couvert s'avèrent nécessaires. La seule chose importante est de prévoir de l'eau en quantité suffisante , au minimum deux litres par personne pour une visite d'un après-midi. Il est vivement recommandé de ne pas quitter les sentiers dans certaines zones soumises à l'activité volcanique , ni à pénétrer dans les zones délimitées : des fumerolles dégagent par exemple des vapeurs de soufre à...la Souffrière.
Par ailleurs , il est toujours possible de se raffraichir dans l'un des nombreux torrents de montagne , où sous l'une des cascades - certaines font plus de 100 m de haut - qui couvrent le massif montagneux , voir se baigner dans une eau chaufffée à 43°C par des sources chaudes pour les plus frileux !

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